MIFO: de la classe à la réalité
Par Jean-François Dugas, Le Droit
11 septembre 2023
Nul ne pouvait se douter qu’un projet de groupe en classe, dans le cours d’économie de l’École secondaire Garneau à l’automne 1978, allait devenir le plus grand centre culturel franco-ontarien. La naissance du Mouvement d’implication francophone d’Orléans (MIFO), une institution incontournable de la capitale nationale, reste aujourd’hui une source de fierté pour les élèves qui ont allumé l’étincelle.
«Nous sommes tellement fiers de ça. Chaque fois que je vois le nom du MIFO, notamment au Centre des arts Shenkman, je me dis “Oh! Mon Dieu! Que de beaux souvenirs“», lance Monique Deslauriers.
«Personne ne peut imaginer la fierté que nous ressentons», enchaîne Raymond Benoit.
Les deux compagnons de classe, certes parmi les plus engagés et motivés élèves de la 13e année à l’époque, ont piloté le projet du MIFO.
Ils ont toutefois obtenu de l’aide.
«Nous étions le visage», avance M. Benoit.
«Nous étions les coordonnateurs, mais toute la classe d’économie était derrière nous autres. Ce n’était pas juste Raymond et moi», précise rapidement Mme Deslauriers.
«D’ailleurs, le nom du MIFO a été choisi après un remue-méninges en classe», atteste M. Benoit.
«On disait même LA MIFO, car on trouvait que ça sonnait mieux phonétiquement», relance aussitôt Mme Deslauriers.
Retournons en 1978.
Premier cours d’économie franco
M. Benoit, 17 ans, et Mme Deslauriers, 18 ans, ne s’attendaient guère à «promouvoir le fait français à Orléans» dans un cours d’économie cet automne-là.
C’est leur professeur, Florian Couture, qui les a motivés.
Ce dernier figurait au sein de la cohorte originale d’enseignants de l’école Garneau en 1972. Il avait décidé de revenir au pays, depuis la Côte d’Ivoire, pour diriger le secteur des affaires de l’institution.
Il a rapidement compris qu’aucun cours d’économie n’était donné, en français, en Ontario.
«Il a fallu que je me batte au niveau de la province afin d’en ajouter un pour les élèves de 12e et 13e année», se souvient-il.
Après beaucoup de «gymnastique», le comptable devenu professeur réussit son pari.
«Dans les écoles francophones, on mettait souvent la priorité sur la culture pour préserver la langue. Ma philosophie est que la culture, c’est économique. Tu ne peux pas faire de la culture sans faire de l’économie», soutient-il.
Dans ses classes, il misait beaucoup sur les apprentissages concrets, pour outiller les francophones pour le marché du travail.
«Le but de toutes mes classes était d’apprendre l’économie tout en le vivant un peu dans ton quotidien», dit-il. «Si on veut que les francophones prennent leur place au soleil, il faut leur donner des outils pour le réaliser!» croit-il.
Certains de ses élèves ont appris de ses leçons. Bon nombre de leaders franco-ontariens actuels sont passés par sa classe au secondaire.
La cause francophone
Le rêve du professeur, admet-il, visait à initier les jeunes à l’entrepreneuriat.
Ainsi, dès les premiers cours, il lançait un défi à ses apprenants: ils devaient produire un projet de classe en équipe de deux. Plus précisément, il demandait de créer une entreprise, un service, comme s’ils se lançaient en affaires: études de marché, plans et budgets inclus.
En 1978, M. Couture avait lancé un thème pour ses élèves, lui qui côtoyait des Franco-Ontariens influents de la région, notamment au sein de la chambre de commerce locale et du comité économique de l’Association canadienne-française de l’Ontario, l’ACFO d’Ottawa-Carleton.
«Le projet de classe devait tourner autour de la survivance du français à Orléans. Les élèves devaient trouver une façon de mettre sur pied quelque chose qui aiderait (la francophonie), mais qui en même temps se survivrait, qui ne vivrait pas seulement aux crochets des subventions.»
L’enseignant a aussi eu la délicatesse de parler d’un récent rapport, annonçant l’arrivée massive d’anglophones dans les nouveaux quartiers d’Orléans. L’assimilation guettait la communauté francophone, selon le document.
M. Couture venait d’allumer la mèche.
«Florian là…, c’est un p’tit vite! Il savait que nous allions embarquer là-dedans quand il nous a présenté les statistiques. Nous étions déjà très engagés à l’école pour la cause du français. Ça nous a pompés», affirme M. Benoit.
«Nous sommes en train de nous faire envahir, se souvient d’avoir réagi Mme Deslauriers. Et c’est là qu’on s’est dit: ‘Comment peut-on faire pour assurer le fait français à Orléans’.»
Le MIFO prend forme
Ça n’a pas pris de temps pour que les deux collègues de classe s’activent.
Dès la fin du cours, les comparses discutent entre eux dans le grand escalier de l’école pour trouver un projet.
Rapidement, ils décident que le leur tournerait autour de la promotion de la langue.
«Mais ce n’était pas clair. C’est là qu’on a approché M. Couture et qu’il nous a suggéré d’inclure toute la classe», indique Mme Deslauriers.
Dès le prochain cours dans la salle 143, ils présentent leur plan à leurs camarades de classe : «On lancera un mouvement francophone pour Orléans.»
Déjà, certains de leurs collègues avaient des idées intéressantes pour leur propre travail d’équipe: garderie francophone, activités pour les aînés, cinéma, restaurant, école de musique.
La majorité de ces services, hormis le restaurant, existent encore aujourd’hui au MIFO.
«Tout ce qu’on a pensé, ou presque, s’est produit», se réjouit Mme Deslauriers.
Le groupe des six
Bien que Mme Deslauriers et M. Benoit aient été l’étincelle pour démarrer le projet du MIFO, ils savaient qu’ils auraient besoin d’aide pour ajouter de la crédibilité à leur travail de classe.
«Ça nous prenait des adultes», lance M. Benoit.
Pour franchir cet obstacle, les deux alliés commencent une tournée pour recueillir des appuis. Ils cognent à la porte des clubs Lions et Richelieu. Ils présentent leur dossier à la chambre de commerce.
Tous décident de passer leur tour.
Sauf que…
Un membre de la chambre de commerce, actif pour la cause francophone à Orléans, y voit là une chance de bonifier ses efforts.
Impressionné par l’ardeur des jeunes, Jean-Guy Doyon choisit de s’investir. S’ajouteront au groupe la professeure de Garneau, Nicole Fortier, et la première gérante du centre commercial Place d’Orléans, Pierrette Thibaudeau, deux grandes militantes francophones.
M. Couture complète l’équipe de six co-fondateurs du MIFO, qui commence leurs opérations en 1979.
Au même moment, M. Benoit devenait père d’une fille et Mme Deslauriers poursuivait ses études universitaires à Montréal à l’automne. La vie les transportait ailleurs.
Leur «bébé», le mouvement étudiant, né officiellement en 1978, a toutefois grandi rapidement malgré leur absence. Tellement, que la communauté francophone d’Orléans a pu enfin se réunir dans des installations flambant neuves au 6600, rue Carrière, dès 1985.
«Raymond et moi, nous avons mis le MIFO au monde, mais nous ne l’avons pas élevé. Nous sommes un peu les parents biologiques», résume Mme Deslauriers.
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