«Le temps d’agir» pour une école secondaire francophone au centre d’Ottawa
Par Daniel LeBlanc, Le Droit
10 avril 2024 à 05h00
Des centaines de familles de l’ouest du centre-ville d’Ottawa retiennent leur souffle en vue des prochaines semaines. Espérant que cette fois-ci sera la bonne, ils espèrent le tant attendu feu vert pour le financement d’une toute première école secondaire de langue française dans ce secteur «mal desservi» où les besoins sont «criants».
Le suspense au sujet de ce projet soumis pour une énième fois par le Conseil des écoles publiques de l’Est de l’Ontario (CEPEO) doit prendre fin bientôt puisque des réponses du gouvernement ontarien sont attendues d’ici le début juin pour les projets d’immobilisation.
«C’est maintenant le temps d’agir, parce que s’il n’y a pas de financement maintenant, quand ce sera le temps d’en ouvrir une nouvelle [école] dans quelques années, les écoles actuelles du centre-ville vont être pleines à craquer. Certaines le sont déjà, plaide un porte-parole du Regroupement communautaire pour une école secondaire de langue française à Ottawa-Centre, André Poulin-Denis. Si on ne veut pas que les élèves [francophones] soient dans des établissements pas convenables ou dans le système anglophone, c’est là que ça doit se passer.»
Le secteur Ottawa-Centre, répète le groupe de mobilisation depuis sa création, regroupe 17 quartiers urbains de la capitale – Petite Italie, Mechanicsville, Hintonburg, Westboro, le Glebe et Vieil-Ottawa-Sud, notamment – dans lesquels il n’y a aucune école secondaire francophone, alors que l’on compte sept écoles secondaires anglophones dans le même périmètre.
Une ligne que certains traversent à contrecœur
Pendant ce temps, environ un millier d’enfants fréquentent quatre écoles élémentaires francophones, si bien que les familles sont confrontées à un dilemme moral qu’ils souhaiteraient à tout prix éviter une fois que l’heure de la transition vers le secondaire arrive.
«Il y a un maillon manquant à l’heure actuelle dans ce secteur, c’est urgent. Les jeunes doivent être transportés à l’extérieur du secteur qu’ils habitent. Une fois à la septième année, il faut faire un choix. Et je sais, de façon anecdotique, que plusieurs parents font le transfert vers le réseau anglophone, ils disent qu’ils ne feront pas la navette, que c’est trop loin, etc.», affirme Stephen MacDonald, un autre parent impliqué dans ce mouvement citoyen.
Lui-même aura à soupeser ses options dès l’an prochain parce que sa fille entrera au secondaire l’année suivante.
«On ne peut pas traverser cette ligne-là (contraindre les gens à faire un tel choix). On va voir où on s’aligne l’an prochain, mais on préfère ne pas avoir à traverser cette limite», clame-t-il, disant garder espoir que le vent tournera sous peu.
Pas une question de concurrence
Pour le père de famille ottavien, même si ce n’est pas une question de «compétition», la situation est encore plus paradoxale quand on pense que certaines écoles anglophones sont loin d’être remplies à leur pleine capacité dans ce secteur de la ville.
L’école secondaire Adult High School, sur la rue Rochester, où un vaste terrain sportif est si peu utilisé qu’une portion a été transformée en stationnement et en zone d’entreposage pour les travaux de réfection sur l’autoroute 417, est un exemple flagrant en ce sens, selon le groupe.
«Je crois qu’il faut trouver des façons d’ouvrir plus de salles de classe. Ce secteur-là est en pleine croissance, on voit la construction tout partout, il y a une densification urbaine. On ne veut pas faire une concurrence entre les différents conseils scolaires, ce ne sont pas des ennemis, sauf qu’il y a un besoin réel maintenant du côté francophone. C’est la logique. On est prêts à travailler avec eux s’il y a des espaces pour une période transitoire», poursuit M. MacDonald.
Impliqué dans le projet depuis les débuts, André Poulin-Denis affirme que l’idée, qui «avançait au départ à petits pas», a vu sa cadence s’accélérer au cours des 12 derniers mois. Ne reste qu’à espérer une approbation du ministère de l’Éducation.
S’il voit le scénario actuellement projeté d’ériger une école sur les Plaines Le Breton d’un très bon œil, le groupe ne se fait cependant pas d’illusion sur les échéanciers et milite même pour qu’un lieu transitoire soit ciblé pour les premières cohortes, et ce, dès 2026, en attendant d’avoir un emplacement permanent.
La balle est maintenant dans le camp du gouvernement provincial pour que les citoyens de l’ouest du centre-ville d’Ottawa aient accès aux services auxquels ils ont droit, soutient M. Poulin-Denis.
«Je pense qu’on a un bon dossier. [...] Mais en quelque part, c’est un peu une question de volonté politique. On a essayé de préparer le terrain en interagissant avec les différents acteurs», note-t-il.
En réponse à une lettre publiée dans le Ottawa Citizen il y a trois semaines pour revendiquer l’urgent besoin d’une école secondaire francophone au centre-ville d’Ottawa, une conseillère scolaire du Conseil scolaire du district d’Ottawa-Carleton (OCDSB), Justine Bell, a répliqué il y a dix jours en niant que les écoles anglophones sont sous-utilisées. Elle évoquait que l’auteur de l’article initial (Mathieu Mault) citait des statistiques prises pendant la pandémie pour suggérer que les écoles de l’OCDSB du centre-ville sont loin d’être remplies.
«Je suis tout à fait d’accord qu’une école secondaire française est nécessaire, mais pas au détriment de nos programmes spécialisés et d’une population anglophone en croissance rapide. [...] La plupart de nos écoles du centre-ville fonctionnent à pleine capacité. L’Adult High School est une plaque tournante pour des milliers de nouveaux immigrants, dont le nombre augmente et continuera de croître», a-t-elle notamment écrit.
«On fait tout ce qu’on peut», dit le CEPEO
Le CEPEO assure faire «tout ce qu’il peut» pour que ce dossier de construction d’une école de 713 places, jugé prioritaire dans la liste des dix projets acheminés au ministère, soit retenu.
«Le dossier chemine vraiment. On a bien décrit le besoin, tout a été envoyé, une école secondaire au centre d’Ottawa est l’une de nos priorités, explique le directeur de l’éducation, Christian-Charle Bouchard. On travaille très bien avec la Commission de la capitale nationale (CCN), un partenaire de choix pour nous. Il y a des rencontres hebdomadaires avec eux et ça avance, avec la Ville d’Ottawa aussi, même si on ne peut rien concrétiser encore.»
Ce dernier, entré en poste en octobre dernier, soutient qu’il s’agit d’un enjeu assez unique, car ce projet nécessite la collaboration de trois différents paliers de gouvernement, ce qui «bien sûr» vient avec son lot de défis.
«Mais avec cette complexité-là viennent aussi toutes les opportunités pour innover, créer notre école et sortir avec une idée d’école vraiment unique en son genre, même à travers toute la province», décrit-il.
Lors d’une rencontre organisée par le regroupement citoyen la semaine dernière pour faire une mise à jour sur le projet, le CEPEO a d’ailleurs demandé la rétroaction des parents parce qu’il explore déjà les diverses possibilités quant à la vision pédagogique de cette future école.
Même si une parcelle de terrain sur les plaines Le Breton est la visée ultime dans son radar, le CEPEO ne ferme pas la porte à l’idée que les élèves soient d’abord hébergés dans un lieu transitoire.
«On est ouvert à toutes les possibilités, même un partenariat avec possiblement nos collègues d’autres conseils pour qu’on puisse louer un espace, ne serait-ce que temporairement. Ce sont des choses qu’on explore. C’est certain que ce qui fait une école, ce n’est pas le mortier et le béton, alors on pourrait déjà débuter notre rêve au niveau pédagogique», affirme M. Bouchard.
iminuer la pression aux deux extrémités
Selon lui, l’arrivée d’une école secondaire francophone publique dans le centre d’Ottawa permettrait certes de «rééquilibrer» la clientèle du CEPEO et d’enlever «de la pression à gauche et à droite», faisant allusion aux écoles secondaires Omer-Deslauriers et De La Salle. Cette dernière est à plus de 100 % de sa capacité et malgré un agrandissement, doit avoir recours à la location de locaux voisins.
«Certains parents ont un dilemme, ils ne veulent pas que leur enfant fasse 40 minutes d’autobus, mais veulent que leur enfant reste dans un conseil scolaire public francophone. Partir de la Basse-ville pour aller vers Nepean, ce n’est pas ce que plusieurs parents souhaitent et je les comprends. Parfois, le choix d’aller vers un autre conseil scolaire est une obligation et non une préférence», plaide le gestionnaire, rappelant que c’est pour un «style de vie» et en raison de la proximité des divers services que plusieurs ménages font le choix de résider près du centre-ville.
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