Bonjour, je vous présente deux texte qui ont été publié dans le Devoir et La Presse:
Opinion
Spectrum: une affaire d'intérêt public
Étienne Couture, Stagiaire en architecture et titulaire d'une maîtrise en architecture et en design urbain, l'auteur pilote la coalition Sauvons le Spectrum.
Édition du Devoir du mercredi 14 mars 2007
Le vendredi 9 mars, nous avons déposé à la Ville de Montréal un exemplaire imprimé de la pétition en ligne contre la destruction du Spectrum, avec ses 15 464 signatures et les commentaires de nombreux signataires. Cette pétition était l'initiative de citoyens opposés au projet de la société immobilière SIDEV, qui prévoit démolir ce lieu névralgique de la culture à Montréal afin de faire place à une tour de bureaux de 15 étages et à un espace commercial à grande surface. Ses signataires réclament des autorités municipales qu'elles refusent de délivrer un permis de démolition au propriétaire des lieux tant et aussi longtemps qu'il n'aura pas révisé ses plans pour y inclure une salle de spectacles qui remplacerait le Spectrum.
Certains se demandent pourquoi avoir amorcé une pétition contre la destruction du Spectrum. Il existe une grande incompréhension à cet égard. On a souvent dépeint les initiateurs de cette pétition comme des personnes souhaitant préserver un élément de patrimoine montréalais. En réalité, le bâtiment dans lequel se trouve le Spectrum n'offre absolument aucune valeur patrimoniale en soi. Il est vétuste et laid, et la toiture doit apparemment être refaite au complet.
Ce que les signataires de la pétition insistaient pour faire reconnaître, par contre, c'est la contribution unique au patrimoine culturel de Montréal qu'offre l'institution que constitue le Spectrum. Ce serait une immense perte pour la ville si cette salle devait être fermée sans être remplacée. Et c'est le défaitisme qui prévalait dans le monde artistique montréalais lors de l'annonce de la destruction prochaine du Spectrum qui a provoqué l'idée d'organiser une riposte afin d'éviter que ne survienne l'irréparable.
Moratoire requis
Nous accueillons évidemment avec beaucoup d'enthousiasme le projet de PPU («projet particulier d'urbanisme») qu'a présenté le maire Gérald Tremblay la semaine dernière pour le Quartier des spectacles. Il semble que cette étape arrive un peu tard. Compte tenu de l'intensité qu'a prise la spéculation dans ce secteur depuis l'annonce de la création du Partenariat du quartier des spectacles, on peut voir d'un bon oeil ce geste significatif qui encadrera le développement immobilier et devrait confirmer la vocation culturelle du quartier.
La mauvaise nouvelle, toutefois, c'est qu'au moment où le plan directeur sera adopté par le conseil municipal, le Spectrum sera déjà détruit et la construction du projet de SIDEV sera probablement en cours, sans égard à ce que pourra proposer ce plan.
Il serait peut-être plus judicieux d'imposer un moratoire sur les projets en cours dans le secteur visé pour assurer qu'ils soient soumis au même type d'examen que les projets futurs, qui devront se soumettre aux intentions du PPU. Seule une action déterminée du maire de Montréal pourrait permettre l'imposition d'un tel moratoire. Un tel geste lui permettrait de faire preuve de leadership pour assurer que le Partenariat du quartier des spectacles, qu'il a lui-même créé, parte du bon pied.
Ce n'est toutefois pas l'impression que le maire nous a donnée la semaine dernière lorsqu'il a répondu, au sujet de la destruction du Spectrum, que c'était une affaire du secteur privé et que cette salle devait, pour survivre, trouver un financement dans ce secteur. Semblant s'en laver les mains, il renvoie la balle au privé, comme si cette affaire ne relevait pas de lui! À quoi doit-on s'attendre d'un maire qui abandonne le sort d'une des salles les plus appréciées des Montréalais à la bonne volonté du secteur privé? Son rôle ne consiste-t-il pas à encadrer le développement immobilier afin, justement, d'éviter que le privé fasse n'importe quoi et transforme la ville en une vaste cité grise sans âme?
Le développement urbain, pour qu'il se fasse intelligemment, doit être balisé et supervisé par les autorités municipales en fonction des intérêts de la population, notamment en faisant montre du courage politique nécessaire pour favoriser le potentiel culturel unique de ce quartier.
Encore une grande surface
Plusieurs aspects laissent à penser que le projet actuel de SIDEV ne serait jamais jugé acceptable s'il devait être jugé en fonction du PPU à venir. Un édifice de 15 étages à cet endroit bloquerait à jamais la vue magnifique sur le centre-ville qu'on a actuellement à partir de la Place des Arts. Nous perdrions ce décor naturel qu'on perçoit au-dessus de la scène centrale du Festival international de jazz, soit la tour de la Place Ville-Marie, avec son phare en rotation constante la nuit. Ce projet empêcherait de voir ce chef-d'oeuvre de l'architecte I. M. Pei, un des rares bâtiments à Montréal à porter la signature d'un architecte de renommée internationale.
À la place, nous aurons droit à un magasin à grande surface -- un autre! --, à des bureaux et à de l'ombre.
Il y a lieu de s'inquiéter de ce qui surviendra avec ce projet. Le fait qu'on ait mentionné que des discussions étaient en cours avec Best Buy nous fournit une bonne idée du type de commerce qu'on verra s'installer au rez-de-chaussée du projet.
Un autre gigantesque espace de magasins à grande surface a-t-il sa place sur une artère comme la rue Sainte-Catherine, dans ce qui devrait être le Quartier des spectacles? Ne risque-t-on pas de perdre là le dynamisme et la richesse que permettent les nombreuses façades commerciales différentes par rapport à un grand pan de murs-rideaux où il n'y aura plus d'interaction avec le trottoir?
Et si, au moins, c'était un commerce d'ici qui se trouvait au coeur de ce projet! Dans une version du projet de complexe Spectrum, qui devait donner sur la place des festivals, c'était un magasin Archambault Musique qui devait être là. Bien sûr, Archambault appartient désormais au puissant Groupe Quebecor, mais ne serait-ce pas préférable à l'installation d'une autre grosse entreprise américaine n'ayant rien à gagner avec notre différence culturelle et qui s'efforcera de nous vendre la même chose qu'elle vend déjà d'un bout à l'autre du continent? Poser la question, c'est y répondre.
L'identité perdue
Et si on pense en fonction du développement durable, la destruction de cet îlot et la construction du nouveau projet produiront combien de tonnes de déchets lourds? N'y a-t-il aucun élément qu'on pourrait garder ou recycler à l'intérieur du nouveau projet? Probablement qu'on ne s'y sera pas attardé, préférant dégager le site au complet pour y couler plusieurs étages de stationnement intérieur souterrain. Non seulement on détruira une structure de qualité qui pourrait encore servir si elle était rénovée, on la remplacera aussi par une gigantesque boîte sans âme, dont la construction sera assurément de piètre qualité comparativement à ce qui se faisait autrefois.
Et que dire de l'identité du lieu? Les petites lumières des murs du Spectrum, que des gens partout dans le monde savent reconnaître comme signe évident de l'identité de cette salle, feraient place à un éclairage au néon froid d'une centaine de lampes suspendues, un intérieur anonyme qui pourrait être ici ou n'importe où aux États-Unis.
La façade d'un magasin à grande surface d'une chaîne américaine au coeur des festivités estivales montréalaises deviendra-t-elle notre nouvelle carte de visite? Bonne chance aux organismes voués au développement du tourisme à Montréal, vous en aurez grand besoin!
La coalition Sauvons le Spectrum n'est à la solde de personne. C'est un regroupement de citoyens qui partagent simplement leur amour pour la culture et dont la parole a rejoint plus de 15 000 personnes pour demander à la Ville qu'elle empêche la disparition (sans remplacement) d'une des salles de spectacle les plus importantes à Montréal. Maintenant que cette pétition est entre les mains des autorités municipales, nous avons exprimé nos attentes à l'égard de nos élus et resterons vigilants devant leurs faits et gestes dans ce dossier.
Fermeture du Spectrum: la fin d'une époque
Étienne Coutu
L'auteur était porte-parole de la coalition Sauvons le Spectrum en février et mars 2007
La Presse dimanche 5 Aout
Le maire de Montréal s'est jusqu'ici montré intraitable au sujet de la destruction annoncée du Spectrum. À ses yeux, il s'agissait «d'une affaire du privé qui devrait être réglée au privé». Par son refus d'intervenir, il devient en grande partie responsable de cette fermeture. Plusieurs estiment qu'une institution culturelle de première importance pour Montréal est en train de disparaître. Cela crée un précédent de mauvais augure pour l'avenir de notre ville, qui soulève des questions sur sa vision et les priorités que M. Tremblay privilégie. De toute évidence, le développement des institutions culturelles ne figure pas en tête dans l'ordre de ses priorités.
Montréal est une ville choyée en matière d'infrastructures et d'événements culturels. Les investissements qui ont été faits depuis longtemps, entre autre sous la gouverne de Jean Drapeau, notamment avec la Place des Arts, nous ont portés à une place de choix. Nous avons la quantité, et la vigueur de la créativité des gens d'ici en a assuré le succès et la qualité. Bien des villes seraient prêtes à investir des millions pour voir des festivals de calibre international s'installer dans ses rues. Plusieurs envient les retombées de nos célébrations estivales, et la vivacité de notre scène culturelle. Devrait-on rappeler à nos gouvernants que la course ne doit pas s'arrêter là?
Toronto l'a bien compris, en se dotant récemment de nouvelles infrastructures de premier plan, avec l'agrandissement du Royal Ontario Museum par l'architecte Daniel Liebeskind, les améliorations de l'Art Gallery of Ontario par un autre géant de l'architecture, Frank Gehry, et la magnifique rénovation de l'auditorium Roy Thomson Hall. Sans compter que Toronto aura désormais son propre festival Just for Laughs.
Pendant ce temps, à Montréal, le dernier concours international d'architecture se soldait par un prix de consolation au gagnant: les étudiants des conservatoires d'art dramatique et de musique retourneront dans les sous-sols bétonnés d'un bâtiment de la rue Henri-Julien. La troupe des finissants en art dramatique de 2005 y a trouvé son inspiration pour un nom: «Du Bunker». Et l'on attend toujours une salle de 2000 places pour l'Orchestre symphonique de Montréal, qu'un projet de type «PPP» devrait pouvoir faire tenir, par miracle, sur l'étroite parcelle restante de la Place des Arts.
Maintenir le cap
Mais d'avoir été à l'avant-garde ne devrait pas nous aveugler sur l'importance de maintenir le cap, et ce spécialement dans un contexte de mondialisation et de compétition entre les grandes villes du monde pour attirer les touristes. Le refus du maire Tremblay d'intervenir pour éviter la disparition du Spectrum illustre une certaine insouciance de sa part: il ne semble pas saisir le rôle crucial que jouent les institutions et projets culturels dans une ville, qu'ils soient publics ou privés.
D'ailleurs il n'y a pas que le dossier du Spectrum en cause. Dans ce cas, nous avions un projet piloté par la Ville, réunissant tous les acteurs de la scène culturelle du secteur visé en un «Partenariat du Quartier des spectacles». Mais la Ville n'a pas eu le courage d'exercer un certain contrôle sur les opérations immobilières pour endiguer la spéculation sans précédent qui a suivi l'annonce du projet. Ironiquement, plutôt que de s'acheminer vers un Quartier des spectacles, l'un des fleurons des salles montréalaises ferme maintenant ses portes et sera détruit. Malgré les protestations des citoyens, le Spectrum fera place à une tour à bureau de 15 étages et à un espace commercial à grande surface, et ce, avant même qu'un plan d'aménagement particulier n'ait été adopté par la Ville.
À Montréal, les développements semblent laissés entièrement aux mains de l'entreprise privée. Ce n´est pas encore du développement sauvage, mais du développement qu'on pourrait qualifier de non réfléchi. En laissant deux importants projets être réalisés avant même l'adoption du plan particulier d'urbanisme du Quartier des spectacles, la Ville sacrifie non seulement l'une des salles les plus appréciées, mais elle renonce aussi à pouvoir se faire entendre dans les développements futurs. Les tours de Rogers et de SIDEV se faufilent à travers le règlement et précèdent l'adoption du plan. Le précédent est un désaveu de la Ville envers les professionnels qu'elle emploie et ses citoyens. À quoi bon travailler sur un plan qui n'aura pas, ou peu d'impact sur ce secteur? Avec un moratoire sur ces deux derniers projets, la Ville aurait joué son rôle, soit de permettre un développement concerté dans ce quartier. À la place, on assiste à un premier pas dans la mauvaise direction pour un projet de développement urbain important.
Y a-t-il lieu de soupçonner le maire de Montréal de pratiquer un préjugé favorable aux entreprises commerciales, au détriment des projets culturels? La responsabilité du maire ne devrait-elle pas consister à encourager et soutenir ces lieux qui donnent à Montréal sa spécificité, son âme? Demain, personne n'ira s'enchaîner aux portes du Spectrum pour en empêcher la démolition. Tout le monde sait qu'une pétition de plus de 15 000 noms repose sur les tablettes de l'hôtel de ville. Nous pourrons ainsi observer l'état de santé démocratique de la Ville de Montréal, et le niveau d'imputabilité de nos élus.
Du Spectrum, il restera dans le coeur des gens ces souvenirs inoubliables d'artistes qui, pendant 25 ans, y auront donné des prestations souvent magiques. Cette fermeture sonne donc la fin d'une époque. Les citoyens se souviendront peut-être aussi de l'ultime responsable de cette fermeture. Sera-t-il poursuivi par le fantôme du Spectrum?