Publié le 06 décembre 2011 à 07h25 | Mis à jour à 09h25
Un pont Champlain made in Sherbrooke
René-Charles Quirion
La Tribune
(Sherbrooke) La construction d'un nouveau pont Champlain sera le point de mire des automobilistes québécois au cours de la prochaine décennie. Normal quand on sait que 60 millions d'automobilistes l'empruntent chaque année et que le projet pourrait représenter une facture de cinq milliards de dollars d'ici l'inauguration annoncée pour 2021.
Polymère renforcé de fibre de verre utilisé comme armature de béton et coffrage permanent, béton imperméabilisé à partir de poudre de verre : les solutions durables à l'un des plus importants projets de génie civil du Québec pourraient bien venir de Sherbrooke.
Comme pour les infrastructures routières qui sont reconstruites aux quatre coins du Québec, les contribuables souhaitent que ces ouvrages résistent à la rigueur de notre climat. Les chercheurs du département de génie civil de l'Université de Sherbrooke (UdeS) en font l'un de leurs principaux objectifs de recherche.
Sommité mondialement reconnue dans le domaine des matériaux composites pour les infrastructures en béton, Brahim Benmokrane a développé des armatures en polymère renforcé pour remplacer les armatures d'acier dans les structures de béton.
L'entreprise Pultrall de Thetford Mines fabrique cette armature, qui présente des avantages au chapitre de la durabilité, du transport et de la sécurité.
«Nous pouvons utiliser les matériaux composites pour armer et renforcer des colonnes qui ont jusqu'à deux mètres de diamètre. Nous éliminons les problèmes de dégradation et de corrosion. Cette armature en polymère renforcé est jusqu'à trois fois plus résistante et quatre fois plus légère que l'acier.
«Le béton armé soumis à des conditions hostiles résiste présentement pendant une trentaine d'années, alors que cette armature en fibre de verre ou de carbone peut durer plus de 75 ans. Et tout ça, pour des coûts équivalents», assure Brahim Benmokrane, titulaire de deux chaires de recherche sur les matériaux composites.
Déjà utilisée dans les structures routières du Québec, notamment pour trois viaducs de l'autoroute 410 à Sherbrooke, cette technologie a été présentée à la Société fédérale des ponts Champlain et Jacques-Cartier, l'été dernier, lors du colloque annuel du Centre de recherche sur les infrastructures de béton dirigé par le professeur Benmokrane.
L'armature des dalles de chaussée en béton des autoroutes 13, 15 et 40, dans la région de Montréal, est conçue en polymère renforcé de fibres.
«Quand une technologie est bonne, elle s'impose. Les matériaux composites et les bétons améliorés développés au Québec doivent être appliqués à ce projet si nous souhaitons bâtir un pont à la fine pointe de la technologie», estime M. Benmokrane, qui vient d'être décoré du prix Synergie pour l'innovation 2011 du CRSNG.
Du verre dans le béton
Lauréat du prix de l'innovation de l'Institut américain du béton (American Concrete Institute), Arezki Tagnit-Hamou, chercheur à l'Université de Sherbrooke, contribue par ses travaux à rendre le béton plus performant et plus durable en y ajoutant de la poudre de verre.
Déjà, cette technologie a servi à la construction de la Maison du développement durable à Montréal. La poudre de verre a été utilisée dans les trottoirs de trois succursales de la Société des alcools du Québec (SAQ) et lors de l'aménagement du quartier des beaux-arts dans la métropole québécoise.
«L'ajout de poudre de silice permet d'imperméabiliser le béton. Cela permet d'empêcher que l'eau, les sels de déglaçage et les sulfates y pénètrent et le fassent se fissurer. C'est un paramètre majeur dans la durabilité des structures. Nous sommes en train de faire des essais pour utiliser cette poudre dans les structures routières», mentionne le professeur Tagnit-Hamou.
L'utilisation de poudre de verre permet de remplacer une partie du ciment, grand producteur de gaz carbonique (CO2), par un déchet local qui est valorisé dans un concept de développement durable.
«Présentement, les ajouts cimentaires proviennent de cendres volantes issues de centrales thermiques au charbon de l'Est du Canada ou des États-Unis. Nous proposons d'utiliser nos propres déchets comme ajout cimentaire. Au lieu de payer pour nous débarrasser du verre, nous lui donnons une valeur ajoutée», ajoute M. Tagnit-Hamou.
Une entente avec la compagnie Tri-Centris à Terrebonne permet le transfert de la technologie pour la fabrication de la poudre de verre destinée au béton. L'usine, qui doit être construite à Lachute, prévoit la production de 50 000 tonnes de verre par année et donnera de l'emploi à 25 personnes. Des investissements qui totalisent dix millions de dollars.
«L'utilisation de la poudre de verre donne un béton plus blanc, ce qui peut avoir des effets intéressants pour la réduction des îlots de chaleur dans les grandes villes. Nous sommes en train de monter un partenariat avec la Ville de Montréal à ce sujet», indique le professeur Tagnit-Hamou.
Tubes renforcés
Le professeur Radhouane Masmoudi de l'Université de Sherbrooke propose de son côté de confiner le béton dans des tubes légers, faits de polymère renforcé de fibre de verre ou de carbone. Outre leur résistance à la corrosion et aux rayons UV, ces tubes sont imperméables, mettant la structure à l'abri de l'eau et des sels de déglaçage.
«Ces tubes remplacent les traditionnels coffrages de bois et permettent de supporter jusqu'à quatre fois la charge. Cette technique peut être appliquée aux ponts, aux viaducs ou aux stationnements et pourrait très bien l'être au pont Champlain», assure M. Masmoudi.
Après 300 cycles de gel et dégel (de -20 degrés à 20 degrés Celsius) simulés en laboratoire, le chercheur n'a observé aucune perte des propriétés structurales des colonnes confinées dans une enveloppe en matière composite. Cela présuppose une durée de vie beaucoup plus longue que les structures actuelles en béton armé.
«Ces enveloppes en polymère gardent les mêmes propriétés, peu importe la longueur ou le format. Nous pouvons en contrôler tous les paramètres de fabrication», avance le professeur Rhadouane Masmoudi.
Et la recherche se poursuit, l'utilisation des nanotechnologies pourrait permettre de rendre les matériaux composites et les bétons encore plus performants.
De quoi se mettre à rêver de routes sans travaux...
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